mardi 1 novembre 2005

La beauté du geste : Freddi-Fish (Marine-Malice), un jeu vidéo pour enfants

Pour mettre à l’épreuve l’intérêt d’une analyse du toucher-voir du jeu vidéo, je te propose de choisir un jeu qui n’est pas fait pour toi, et même un objet sans doute très éloigné de tes goûts actuels, un jeu pour les petits garçons et les petites filles de 4 ou 5 ans par exemple. Tu n'as plus l’âge de jouer à ce type de jeu ? C’est dommage ! Mais tu as peut-être l’âge de chercher à comprendre le fonctionnement de ce type de petit jeu dit "jeu d’éveil", un jeu tout simple qui a pourtant déjà tout, dans ses principes, du jeu vidéo. N’oublie pas d’ailleurs que ce sont les enfants qui, les premiers ont fait la fortune du jeu vidéo.
Allons-y avec Marine-Malice  (en v.o. Freddi-Fish), un jeu classé comme un « jeu d’aventure simple» utilisant une interface dite «point and click».
C’est une production du studio Humoungous, connu dans les années 90 pour avoir développé plusieurs séries à succès pour les enfants aux états-unis, adaptées en France sous le nom de Marine-Malice, Pouce-Pouce et Sam Pyjam.
Tu devrais pouvoir te donner une idée de ce jeux à cet endroit :
http://www.youtube.com/watch?v=4g-dt99gdOE&feature=related
Même si tu n'as pas joué à ce titre, tu peux reconnaître de quoi il s'agit. Un gentil petit poisson, Freddi-Fish, accompagné de son ami Luther se déplace dans un univers sous-marin pour résoudre des énigmes. Il explore plusieurs espaces (chaque espace est contenu dans une «page») et découvre dans chaque tableau des surprises ou des objets à collecter qu'il assemblera pour remplir sa mission.
Après une longue introduction en dessin animé pour lancer l’histoire, un spectacle coloré s’offre au joueur, des événements adviennent, un récit se construit pas à pas : tout cela est déclenché à partir d’une entrée gestuelle apparemment tellement simple. C’est en faisant le geste de désigner dans la scène globale une zone précise de l’image que le joueur active le déroulement chaîné du flux d’animation…et fait avancer l’histoire.
La simplicité du geste n’est ici qu’apparente. Car si les doigts ne disposent que d’un seul geste, ce geste unique prend des significations contextuelles multiples Il porte en lui toute la puissance de la désignation.
Les doigts désignateurs sont en même temps des doigts explorateurs, à la manière d’œils mobiles, ils examinent l’image à la recherche des zones activables. Ce sont des doigts qui pensent et qui voient, ils discriminent des formes, effectuent des choix.
Cette intelligence gestuelle est étroitement cadrée par les propositions d’une image animée contenant des appels à gestes peu nombreux, très distincts et très lisibles. Le nécessaire travail d’anticipation du joueur est ainsi grandement facilité par ces affordances très nettes.
Pour limité que soit ce jeu, Freddi Fish possède le pouvoir de créer un réel engagement (pour les enfants de 4 ans, pas pour toi !) Les gestes appelés par les flèches et les zones activables déclenchent le montage des séquences : je parle bien ici de montage au sens cinématographique. Ces gestes impliquent l’utilisateur dans l’écoulement et l’enchaînement du flux d’image, déterminent une temporalité qui suppose une anticipation narrative. En même temps, ils emmènent le joueur dans la scène, construisent les bornes d’un espace performatif et suscitent un engagement d’orientation.
 Regardons maintenant plus en détail la question de la mobilité du héros, dont la mise en activité est, en partie confiée à nos gestes. Toute l’histoire tourne autour des déplacements de Freddi-Fish, présent dans toutes les scènes et participant à tous les évènements. Comment se réalise la projection fonctionnelle du joueur sur les déplacements du héros ? Le poisson devient mobile dès qu’on lui a indiqué le tunnel qu’il doit prendre, la porte qu’il doit ouvrir. Une fois l’entrée du tunnel désignée par un clic, le joueur assiste, sans plus de difficulté, au spectacle de la nage agile du poisson ; la pénétration dans le tunnel est automatique , et le héros débouche de l’autre côté.
Ce qui caractérise ici la mobilité, comme dans tous les jeux vidéo qu’on appelle jeux d’aventure, c’est le fait que les gestes du joueur désignent, non pas le corps du personnage mais des lieux ou des objets, les lieux que le poisson peut atteindre, les objets qu’il peut saisir. La mobilité est ici donnée à commander en quelque sorte de l’extérieur et indirectement. d’une façon qui laisse le joueur à la surface du corps de son héros. On mesure combien cette forme de mobilité diffère de celle que l’on trouve dans les jeux d’action ou les jeux de plate-forme dans lesquels les gestes du joueurs désignent le corps du personnage et sont corrélés à ses organes corporels.


L’analyse interne du ludiciel, telle que je commence à la mener ici avec toi, nécessite, tu l'as bien compris,  une attention croisée à l’objet et à l’activité qu’il suscite. Il faut apprendre à faire ce travail minutieux de décomposition du continuum perception-action en s'attachant en particulier à déterminer la part qui revient à l’utilisateur dans la mise en activité des objets et la part qui revient au programme. Les différents éléments du spectacle – et en particulier les mouvements du héros - sont rattachés aux gestes humains qui les déclenchent et à la signification contextuelle de ces gestes. Ainsi se dégagent des couples geste-image, ayant leur forme propre, combinés entre eux pour produire les éléments du moteur ludiciel.